[Analyse] Gros.se
Cet article est riche en sources, c’est pourquoi certaines parties ou idées peuvent sembler moins développées - on vous invite donc à cliquer sur les liens et à vous évader !
On
va également beaucoup parler de discrimination et d’oppression
systémique, donc si vous ne vous sentez pas au clair avec ces
concepts, faites un petit tour içi.
Sur Imagynons, on
aime bien partir d’œuvre de fictions pour parler des questions de
genre ou de sexualité, et parfois on va creuser une problématique –
plus proche que vous ne l’imaginez de nos thèmes habituels.
Aujourd’hui, la grossophobie.
Pour nous vendre
une bonne histoire, il faut un-e méchant-e marquant-e. Parfois
terrifiant-e, parfois comique ou pathétique, mais dans tous les cas
avec sa touche d’inhumanité. Et quoi de plus facile pour rendre un
personnage un poil monstrueux que de lui adjoindre une « difformité »
physique bien cliché: nez crochu, prothèse, bosse, cache-œil....
ou juste être gros-se.
De Jabba le Hutt
au super-vilain le Caïd, de la directrice de Mathilda à la sorcière
des mers Ursula, de Gluttony l’homonculus au Roi Dadidou, des
Dursley à Augustus Gloops, de Diana la faussaire à la patronne sans
nom de Wanted, les méchant-e-s gros-se-s semblent monnaie courante
un peu partout, tandis que les héros (et surtout les héroïnes)
gros-se-s se comptent sur les doigts d’une main.
Ce
qui est gênant ce n’est pas tant le fait que les personnages
soient gros, car après tout être gros.se est juste une
caractéristique comme une autre, mais surtout qu’iels n’ont, en
général, pas une personnalité complexe ou un rôle majeur :
iels sont justes gros et méchants.
D’ailleurs,
pourquoi utiliser le mot grosse et pas ronde ? Être gros.se
n’est et ne devrait être qu’un qualificatif comme un autre comme
avoir les yeux marrons ou les cheveux roux. Dire qu’une personne
grosse est ronde, c’est à mon sens hypocrite car c’est une
volonté d’adoucir une réalité qui n’a pas besoin de l’être.
C’est juste un fait, certaines personnes sont grosses, ont un corps
non normé et si on ne les jugeait pas en permanence, on pourrait
dire : on s’en fout. Malheureusement, certaines personnes ont et véhiculent des préjugés autour des personnes grosses, cela peut engendrer des discriminations. C'est ce qu'on appelle la grossophobie. C'est un phénomène normalisé par la société, on
infantilise les personnes grosses par rapport à leurs choix
alimentaires, à leurs courses etc. et on les discrimine notamment
par rapport à l’emploi.
1)
la grossophobie, état des lieux:
En
France, c’est en 1989, que le combat contre la grossophobie a
émergé, porté par Anne Zamberlan (une actrice décédée en 1999),
qui a fondé l’association Allegro Fortissimo.
Il
faut attendre 2016 pour que le mouvement « Gras Politique »
voit le jour, porté par Daria Marx et Queen Mafalda dans une ligne
plus radicale. C’est, pour cette article, une source importante
dans laquelle nous nous reconnaissons.
« La
grossophobie est l’ensemble des discriminations subies par les
personnes grosses. Elle
s’exprime dans toutes les sphères de la vie des gros-ses : dans la
sphère familiale, dans
les relations privées, dans la discrimination à l’embauche, sur
le lieu de travail, à
l’école, dans l’accès aux soins médicaux, dans la prise en
charge de santé, dans l’espace public, dans les transports...La
discrimination grossophobe impacte directement les vies, les
carrières, l’éducation et la santé des personnes grosses qui
n’ont pas accès aux mêmes opportunités que les personnes jugées
au poids normé. 33% des chômeurs et des chômeuses déclarent avoir
souffert de discrimination à l’embauche sur des critères
grossophobes, alors qu’une étude anglaise de 2016 prouve que les
femmes obèses se voient proposer des salaires inférieurs à des
personnes au poids normé. »
Je
rajouterai que pour accéder à l’emploi, il est plus facile
d’avoir fait des études, ce qui ne va pas de soi quand on est
harcelé-e dès le plus jeune âge dans la cour de récré. Je n’ai
pas de données chiffrées là-dessus, et je ne sais pas s’il y en
a, mais j’imagine que les personnes grosses à force d’être
insultées, moquées, ont un parcours scolaires
beaucoup moins aisé qu’une personne privilégiée c’est-à-dire
blanche, mince, valide, de classe moyenne.
Parmi
les personnes grosses, il y a la bonne et la mauvaise. La bonne
grosse sera victime d’une maladie – hormonale – et elle aura en
plus des formes généreusement féminines. La mauvaise grosse quant
à elle, se laisserait aller à manger n’importe quoi et n’aurait
pas de courbes féminines mais plutôt une obésité androgyne. La
bonne grosse sera plutôt fétichisée et sexualisée alors que la
mauvaise grosse serait plutôt asexuée/ asexualisée. Comme si ce
n’était déjà pas assez éprouvant, en 2013, un magazine
masculiniste américain a lancé une « fatshaming week ».C’est
tout simplement une invitation au cyber-harcèlement des femmes
grosses : sexisme et grossophobie, la convergence des
oppressions.
La
grossophobie est donc une oppression que l’on retrouve à la fois
dans la sphère publique et privée. Elle est aussi associée au
sexisme, car on attend beaucoup plus des femmes - ou perçu-e-s comme
femmes - d’être conformes aux canons de beauté que les hommes. Eux,
seront plutôt considérés comme des bons vivants, des épicuriens
et auront beaucoup moins recours à la chirurgie bariatrique*.
2)
La grossophobie dans le milieu médical :
Dans
son livre – génial - « On ne nait pas grosse »,
Gabrielle Deydier raconte son parcours. A 16 ans, elle veut perdre du
poids: son médecin va lui diagnostiquer la maladie des glandes
surrénales et lui prescrire un traitement qui va complètement
chambouler son organisme. Elle va alors grossir rapidement et avoir
des effets secondaires. Quelques années plus tard, elle va
rencontrer une endocrinologue qui posera le bon diagnostic :
elle est en réalité atteinte du syndrome Stein – Leventhal, les
ovaires polykystiques. Elle va changer son traitement, mais surtout
arrêter d’être au régime. D’ailleurs, vous trouverez là
un
documentaire très intéressant sur le non-intérêt d’être au
régime et de consommer des produits allégés. Et dans le
livre-témoignage « On ne nait pas grosse » vous pourrez
lire une enquête sur la chirurgie bariatrique menée par l’auteure,
et l’obsession pleine de préjugés de certains médecins pour ce
type d’intervention.
Gabrielle
Deydier a bénéficié longtemps de la CMU et donc des soins de base
sans pouvoir pousser les examens pour vérifier le premier
diagnostic. C’est un vrai problème en soi : la mauvaise santé
associé à la précarité. L’autre raison probable de cette erreur
de diagnostic, est que son médecin ne s’est même pas posé la
question de sa bonne santé gynécologique. En cela, c’est une
démonstration de la grossophobie médicale : les personnes
grosses avec un utérus n’ont pas « besoin » de leur
utérus alors pourquoi s’en soucier ?
Cela
répond à ce stéréotype qui voudrait que soit les personnes
grosses auraient soit une sexualité débridée – selon les courbes
et le poids – soit seraient abstinentes et/ou stériles.
A
noter aussi que l’on vit dans une société qui est tellement
grossophobe que même les femmes enceintes doivent rester minces et
prendre un minimum de poids. Je me rappelle d’un extrait d’une
émission où une chroniqueuse enceinte parlait mode pour femmes
enceintes, elle déconseillait l’achat d’un jean de grossesse car
de toute façon, le gras de la grossesse ne se situait qu’au niveau
du ventre, on pouvait donc continuer à porter son slim taille basse
en tout tranquillité. A mon sens c’est complètement effarant.
Quand on grossit, on grossit, on ne choisit pas la localisation de la
graisse, et il est très commun pour les personnes de sexe biologique
féminin de grossir des cuisses et des fesses… particulièrement
pendant une grossesse.
Et
forcément c’est encore pire quand on est grosse. Une fois passé
les préjugés tels : « la femme grosse est stérile »,
« la femme grosse n’a pas de sexualité », il faut
affronter la grossophobie de l’ensemble des soignants et
particulièrement dans le domaine gynéco – obstétrique.
D’un
point de vue plus personnel, l’aura de préjugés qui entoure une
personne grosse peut être un gros frein pour établir des relations
affectives et sexuelles. Comme en témoigne, cette vidéo très
juste : non, la femme grosse n’est pas séduisante, c’est ta copine grosse rigolote.
Gros.se : n'est pas une insulte, ne veut pas dire moche, ne veut pas dire paresseu.se, ne pas dire malade, ne veut pas dire sans valeur. On naît avec des formes et des tailles différentes. Tout le monde mérite le respect. #Arrêtons la grossophobie.
3)
le mouvement body positive efface – t – il les oppressions envers
les personnes grosses ?
Le
mouvement « Body positive » est né aux États Unis avant
de se répandre en France depuis quelques années. Il s’agit de
célébrer la beauté des corps dans toute leur diversité. Dit
comme ça, ça semble plutôt génial : tout le monde est beau,
peu importe les diktats et l’état de santé.
Sauf
qu’au fur et à mesure, les exemples body positive sont devenus
essentiellement représentés par des personnes blanches, valides et
minces. On s’éloigne peu à peu de la représentativité de
l’ensemble des corps pour mettre en avant des corps socialement
acceptables. Comme l’explique très bien ce témoignage
publié sur Buzfeed, on a peu à peu normé le mouvement.
Je
comprends bien que certaines personnes se sentent mal dans leurs
corps mais si vous êtes blanc.hes, que vous trouvez facilement des
vêtements à votre taille, à prix abordable, qui vous plaise et que
vous êtes valide et cisgenre… vous n’êtes objectivement pas
victime de discriminations. Toutefois, si vous êtes boulimiques et/ou
anorexiques, c’est important que vous
puissiez guérir, et le mouvement body positive peut vous aider à
vous aimer. Mais si vous n’avez pas ces maladies, il faut apprendre
à laisser la place aux personnes qui souffrent surtout quand elles
ont la volonté de dénoncer les oppressions qu’elles subissent.
Il
y a une différence entre ne pas se trouver joli.e tel.le que vous
êtes ET être discriminé.e à l’embauche, maltraité.e par votre
médecin et/ou votre gynéco, ne pas trouver de vêtements (sympas) à
votre taille dans le magasin du coin, et j’en passe. Même si j’ai
bien conscience de toutes les injonctions paradoxales dont sont
victimes les femmes et autres personnes affiliées au genre féminin.
Et puis, je vais le dire comme je le pense : une personne moche, ça n’existe pas.
En
revanche, c’est un vrai enjeu pour les personnes oppressées d’avoir
des modèles d’identification, c’est un des leviers pour
reprendre confiance en soi. Se reconnaître dans une personne
talentueuse a forcément impact positif, c’est une façon de se
dire « si elle a réussi à surmonter tel discrimination, je le
peux aussi. ». Cela donne du courage pour affronter les
oppressions systémiques de la société, afin de s’accomplir.
Sauf, que si on est grosse, qu’on tape « body positive »
sur tumblr et qu’on tombe que sur des photos de filles musclées ou
avec un petit ventre… Nos modèles d’identifications sont
complètement invisibles et on aura pas accès à ce levier
d’empowerment.
Par
exemple, dans cette vidéo,
Neiiko critique le « faux bodypositive » et son manque
de diversité. Mais aussi, quels rôles peuvent avoir les allié.es
dans cette lutte. Si vous avez du pouvoir, vous êtes écouté.es, et
que vous vous voulez parler de « body positive » faîtes
le pleinement. Évitez les écueils du clip de Mademoizelle «
Beach Body Ready »
qui ne brille pas par sa diversité comme la très justement souligné
Gras Politique dans cette article.
Il
faut aussi tirer la sonnette d’alarme car à mon sens, la
récupération capitaliste du mouvement body positive est révoltante.
On connaît les liens entre patriarcat et capitalisme, notamment en
matière de contrôle des corps féminins, ne leurs laissons pas
récupérer tous nos outils d’empowerment, questionnons nous
activement sur le « capitalisme féministe ». Ce système voudrait nous
faire croire qu’il nous prend en considération alors qu’en réalité
il veut, de façon pragmatique, nous faire consommer pour qu’on
nourrisse sa puissance.
Finissons
quand même avec une note un peu optimiste, tout n’est pas si
terrible, il y a quand même des personnes réellement body positive
comme l’Utoptimiste,
les dessins de Mr Q,
Cy, ou Mirion Malle, ou encore Sophie Mayannea avec sa série Behind the Scars.
Conclusion :
La lutte contre la grossophobie, est une lutte féministe car elle
permet l’accès au droit pour tous.tes à un truc plutôt pas mal :
choisir sa vie et la mener sans être discriminé.e. Mais c’est
également une lutte de classe (oui ça existe encore) car il y a une
corrélation entre le milieu social d’origine et la tendance à
l’obésité (
cf. les chiffres de l’INSEE).
Pourquoi
lutter contre la grossophobie et ne pas juste mettre toutes les
personnes obèses aux régimes ? C’est pourtant ce qu’on lit
souvent dans les commentaires de haters sur internet.
Déjà
parce que ça ne sert à rien comme dit un peu plus haut.
En
réalité, comme dit en introduction, la grossophobie engendre la
précarité. Quand on est précaire au niveau économique, on est
dans une spirale. On ne peut pas forcément faire le choix de son
alimentation, à la fois d’un point de vue économique
mais
aussi d’un point de vue psychologique. Et que celui ou celle qui
n’a pas mangé une gourmandise pour se réconforter me jette un
kinder bueno à la figure. Parce que oui, quand on est sans emploi,
coupé d’une vie sociale car notre poids nous marginalise, on peut
développer des troubles psychiques qui ne font que renforcer la
précarité.
Il
faut alors prendre soin de soi du mieux qu’on peut, et parfois la
solution sur le moment, ça sera de manger plein de chocolat ou
d’autres choses qui nous font ressentir du réconfort. Et c’est
normal de chercher à éprouver cela. Tout le monde a besoin d’un
dérivatif à sa peine. Pour certain.es, ça sera la nourriture,
d’autres la drogue ou le travail, et ce n’est à personne d’en
juger.
Mais
attention, toutes les personnes grosses ne sont pas forcément
dépressives, sans emploi, etc. Certaines personnes ont un
métabolisme qui va favoriser la prise de poids, d’autres sont
sportives, d’autres prennent la pilule
… bref il y a plein de raisons différentes pour lesquels une
personne est grosse ou devient grosse. Mais aucunes ne justifie une
quelconque discrimination ou cette injonction permanente à mincir.
Imaginez si vous avez les yeux marrons qu’on vous dise à chaque
fois qu’on vous voit « Tu devrais mettre des lentilles de
couleurs vertes, ça t’irait beaucoup mieux ! C’est pas que tu
as pas beau/ belle mais quand même ça serait mieux. » ou si
vous êtes blond.e « Tu devrais te teindre en brun.e pour
trouver un emploi, ça donnera une image de toi plus dynamique.».
Je
suis aussi contre l’argument « Devenons toustes végétarien.ne.s
/ veganes pour perdre du poids ! ». Étant moi-même
végétarien.ne, je peux vous dire que je n’ai pas perdu de poids
pour autant, c’est ma dépression qui m’a fait maigrir à un
moment mais certainement pas mon alimentation habituelle. Ça peut
peut-être marcher sur certaines personnes mais il faut pas
généraliser. Et d’ailleurs, arrêtons de vouloir mettre au régime
les personnes grosses.
En
fait, je pourrais lister un nombre incroyable de truc qu’on
préconise aux personnes grosses – et à toutes personnes victimes
d’oppressions en général – mais ça prendrai des plombes et j’ai
un gâteau qui m’attend. Donc, si vous avez envie de lutter contre
la grossophobie ou une autre oppression systémique :
-
Ne jugez pas le vécu de la personne et ses actions.
-
Écoutez-la et je dirais même taisez-vous et apprenez, ne remettez pas en cause ce qu’elle dit pour justifier quoi que ce soit.
-
Quand une personne fait une blague oppressive, dîtes le. Au pire, vous passerez pour un.e copin.e pas drôle mais c’est pas si grave, c’est l’occasion de se trouver d’autres copin.es vraiment cools.
-
Et si vous vous en sentez la force, c’est pareil pour les propos oppressifs lors de vos repas de famille.
Squirrel
Pour
aller plus loin
- Les gros.se.s au cinéma
- Le blog "Gras Politique"
- Les gros.se.s dans la fiction (en BD)
- Les gros.se.s dans les jeux vidéos
- On ne nait pas grosse – Gabrielle Deydier éd La goutte d’or et une émission où elle intervient (la présentatrice est assez maladroite au début, mais après c’est mieux),
- Un article de france info sur son livre
- Des brochures sur la grossophobie
- Documentaire contre les régimes : partie 1 et partie 2
- Un article sur le fat activism
- Un article dénonçant le body positive
- Un interview en anglais d'une fat activist
- La lettre d'une grosse au mince d'esprit
- Un article sur les liens entre patriarcat et capitalisme
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