[Analyse] Mange, Prie, Aime d’Elizabeth Gilbert



Je dois avouer que j’ai d’abord vu le film avec Julia Roberts sorti en 2010. Je l’ai plutôt apprécié mais j’avais détesté la fin digne d’une « romcom »* classique : il faut être en couple pour trouver le bonheur. J’avais donc un a priori plutôt négatif sur le livre, d’autant plus que c’était un succès commercial.

Mais une amie m’a convaincu en me disant que le livre et le film n’avait rien à voir et que c’était une belle histoire. D’autant plus que l’auteur était une auteure, ce qui collait avec mon année de lecture 100 % féminine. J’en ai donc fait l’acquisition quelques semaines plus tard et j’ai encore un peu traîné pour me mettre à le lire. Je n'avais pas prévu de détailler tout le livre (c’est la première chronique littéraire que j’écris) mais je fais cet exercice avec sincérité et je me devais de mettre en garde sur « l’emballage » du texte.


En effet, je dois avouer que sur la 4ème de couverture, qui est là pour promouvoir l’œuvre et déclencher l’achat, est assez édulcorée.

D’une part, les appréciations « vendeuses » d’ Albertine Bougert du Temps « Un genre de Bible post-Sex and the City » et d’Emanuelle de Boysson de Femmes « Entre pasta, yoga et good karma, son voyage est si attachant que l’on suit sans hésiter cette amie irrésistible, débordante de vie et d’humour » donnent une image sacrément « chick literature »* et assez loin de la réalité. Ok, l’auteure est une new-yorkaise, écrivaine comme Carrie Bradshaw mais la comparaison s’arrête là. Elizabeth Gilbert n’est pas un personnage de fiction et sa réflexion est bien moins futile.

D’autre part, le résumé donne l’impression d’un « feel good » roman, assez éloigné de la profondeur de cette aventure. C’est très dommage car ça ne rend pas justice à un livre autobiographique, l’auteure mérite bien plus que ça.

Peut-être pour être en phase avec le film ? Peut être que le terme « dépression » est encore trop entouré de psychopobie pour être vendeur ?

Même si le mot est lâché dans le résumé (bien obligé), il apparaît comme quelque chose de secondaire alors que pour moi il est la source, le point de départ de toute l’histoire et donc le thème central du roman. Les « critiques » induisent fortement en erreur si on se base sur cet avis là pour choisir de lire cette œuvre ou non, c’est très réducteur. Et le résumé ne rend pas compte de la complexité et de la richesse du livre.

Il fallait donc corriger cela en vous fournissant un avis plus détaillé !

Quelle surprise j’ai eu en le commençant ! Cela sonnait juste et résonnait avec mon propre vécu de la dépression. Dès le début, on comprend qu’au travers de cette autobiographie, l’héroïne se guérit, se reconstruit. C’est d’autant plus inspirant qu’il s’agit d’un voyage initiatique vers soi. Et si il est difficile de le voir sous cet angle quand on la vit, la dépression est une rencontre avec son Moi profond. Ainsi en guérir ne peut se faire qu’en traversant ses propres entrailles, pleine de failles mais également de ressources.

Cette quête introspective s’appuie sur 4 piliers :

  •  Le plaisir (via la nourriture) en Italie, qu’elle crée grâce à ses envies et surtout qui ne dépend que de soi ! Bien sûr que l’Autre a un rôle à jouer mais il n’est pas la source unique de toute joie. Elizabeth ici flotte entre la solitude, le ravissement et le besoin de sécurité (elle veille à connaître des amis d’amis avant d’arriver), c’est un premier pas hésitant mais nécessaire pour la suite.
  • La spiritualité dans un ashram indien… je dois avouer que pour moi qui n’ait pas vraiment une foi débordante, il s’agit de la partie qui aborde un thème tout à fait nouveau. C’est intéressant de découvrir l’impact de la spiritualité dans un processus de guérison (déjà bien entamé cela dit). Il y a beaucoup d’explications, de référence à des personnes saintes, c’est très instructif.
  •  La recherche de l’équilibre à Bali, mais quand l’auteure définit cette notion, il s’agit plus d’ordre et de rigidité. Elle écrit même quelque chose comme « je suis à la recherche de stabilité », ce qui est assez déroutant et paradoxal, car l’équilibre n’est pas un lieu précis comme Elizabeth Gilbert le pense au début mais une danse perpétuelle avec des efforts constants et plus ou moins difficiles pour atteindre un point d’équilibre qui ne peut définir qu’un instant T et non un état permanent.
  • Le lâcher prise avec ses peurs et ses habitudes « limitantes », l’abandon de ses « casseroles » qui l’empêchent de vivre… ce renoncement est particulièrement difficile car avoir peur devient une routine ancrée profondément. Se nettoyer de toutes ses énergies négatives est une véritable lutte qui est expérimentée ici et racontée avec justesse.
Ce livre est riche grâce aux péripéties de l’héroïne et ses réflexions mais aussi car il est bien documenté et nous apprend des choses qui ancrent le point de vue de l’auteure sur le monde, on partage ainsi vraiment sa vision des choses.


En conclusion, je confirmerai ce que mon amie m’avait dit, on retire de ce parcours salvateur bien plus d’enseignements et de sagesse dans le livre que le film ! La version Hollywood est en effet plutôt lisse et "politiquement correcte". L’héroïne n’a pas vraiment l’air de prendre 12 kilos (grossophobie classique), on dirait qu’elle s’en sort plutôt seule alors qu’elle a de nombreux ami.e.s qui lui prodigue des conseils avisés et sages (peut être pour se conformer à l’idée américaine du « self made man »*), on gomme la différence d’âge entre Elizabeth et Felipe (on ne dirait pas qu’ils ont 17 ans d’écart dans le film). Les leçons qu’on peut en tirer sont beaucoup plus communes et moins abouties.

Et SURTOUT, la rencontre de l’amour y est la « cerise » sur le gâteau de l'épanouissement, mais ce n’était pas le but premier de l’héroïne en commmençant de son année sabbatique. D’ailleurs elle est même un peu réticente à l’idée d’entamer une relation avec Felipe au début de cette partie du livre. Ce qui est plutôt éloigné de la fin du film en mode « histoire d’amour hollywoodienne » !

*La romcom est une abréviation pour comédie romantique, vous en connaissez forcément quelques unes : Pretty Woman, Coup de foudre à Notting Hill, 10 bonnes raisons de te larguer, Love Actually et ses sœurs : Valentine’s Day, Mother’s Day, Happy New Year et j’en passe !

*La chick literature est un genre « léger », plutôt à destination des femmes. Les rebondissements, les histoires, les personnages sont assez similaires d’un roman à l’autre. Je n’apprécie pas ce style car je trouve que les personnages féminins n’ont pas une âme de wonder woman, ont une personnalité assez simple (naïves, menteuses, généreuses (mince et jolie)) et les thèmes centraux sont ancrés dans l’imaginaire capitaliste : gagner plus d’argent, avoir une meilleure position sociale, vivre une histoire d’amour hétéro-centré.

La plupart des auteurs sont des auteures aussi, par solidarité, je n’en ferai pas plus de critiques ici car elles ont le mérite de permettre à des personnes pas forcément attirées par la lecture de s’évader par les mots, elles sont populaires et ont du succès ce qui contrebalancent un peu l’hégémonie masculine dans le milieu littéraire.

* « Self made man » est une expression qui signifie aux États-Unis que l’on ne peut compter que sur soi pour s’en sortir. En général, cela recouvre plutôt le côté business et ascension sociale.

Squirrel

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